A travers le regard de sa fille, Adina Bar Shalom, un autre aspect surgit de la personnalité complexe du grand rabbin Ovadia Yossef, qui vient de s’éteindre à Jérusalem.
Géant de la Torah, chef spirituel du judaïsme orthodoxe sépharade, le rabbin Ovadia Yossef avait aussi à bien des reprises su oser. ”Il est bien plus facile d’interdire que de permettre” disait-il en parlant des décisionnaires talmudiques. A trois reprises, le grand rabbin avait dit oui. Lors de la guerre de Kippour en libérant les veuves de la guerre de leur statut d’aguna. Face au judaïsme éthiopien en s’opposant à l’orthodoxie ashnénaze et en tranchant sur la judaïté de cette communauté. Et aussi face à la démarche révolutionnaire de sa fille d’ouvrir la première académie orthodoxe.
J’ai rencontré à plusieurs reprises Adina Bar Shalom, pour l’écriture de mon livre. Voici quelques extraits de ces rencontres telles qu’elles sont rapportées dans le livre, où elle parle de son père.
Sur la création de l’académie
“…. Chapeau noir, bas opaques, tailleur strict et lunettes ovales, Adina Bar Shalom n’a rien d’une militante féministe. Pourtant, c’est bien une révolution féminine qu’a initiée la fille du rabbin Ovadia Yossef avec l’ouverture de la première institution universitaire pour femmes ultra-orthodoxes. …. ….La fille a suivi les traces de son père. Le même refus des carcans désuets caractérise le rabbin Ovadia, le chef spirituel de l’orthodoxie séfarade. Le père d’Adina Bar Shalom a plus d’une fois tranché en faveur de la femme. Mais, en appuyant de tout son poids le projet de sa fille, en acceptant l’intrusion de l’académie au sein de l’orthodoxie religieuse, le rabbin a frôlé le sacrilège. Son audace a mobilisé contre lui le judaïsme orthodoxe ashkénaze. Des pamphlets véhéments, affichés jusque dans la rue, qualifiaient sa décision de blasphématoire et appelaient au boycott de la nouvelle institution: « Comment accepter que les jeunes filles religieuses étudient Freud, pour qui la religion est un symptôme névrotique !» Décisionnaire incontesté à la tête d’une communauté majoritaire, le rabbin séfarade a fait fi de ces critiques….. Je voulais changer fondamentalement la vie des femmes orthodoxes en leur donnant le droit de choisir. Je voulais faire quelque chose de grand, laisser l’empreinte de mon père ». « J’ai compris que l’accord de Zabulon et d’Issachar ne régirait plus les relations entre religieux et laïcs. Les Israéliens n’accepteront plus de travailler pour financer le monde religieux. Nous devrons trouver nos propres moyens de subsistance. Sans farine, pas de Torah, dit la maxime. Et j’ai donc fondé cette université.
Sur les souvenirs d’enfance et les liens avec la communauté ashkénaze
Adina Bar Shalom est née en 1945 à Jérusalem. Puis, elle a grandi en Egypte où son père, qui n’était pas encore le leader du judaïsme séfarade, était responsable du tribunal rabbinique. Dans les souvenirs d’Adina s’entremêlent les promenades sur les rives du Nil, les pyramides, les chameaux et les attaques contre la petite communauté juive du Caire lorsqu’en mai 1948 est créé l’État d’Israël. Quand, à l’âge de six ans, Adina revient en Israël, son père exige qu’elle entre dans le Beit Yaacov, le réseau scolaire orthodoxe ashkénaze….
Sur le souvenir et l’exemple de son père
…. J’avais onze ans lorsque nous avons quitté notre appartement de deux pièces à Jérusalem. Six enfants ne peuvent dormir dans une même chambre, laquelle de surcroît sert de bureau avait décrété ma mère. Pourtant, c’est dans mon lit, en regardant mon père penché sur ses écrits dans cette pièce tapissée de livres, chambre d’enfants et bureau du rabbin, que j’ai découvert le goût de lutter et l’amour du savoir.
Sur la halacha de son père
….Une histoire, qui dit tout. C’était lors de la shiva, la semaine de deuil de ma mère, la rabbanit Margalit. Certains ont dit, les filles s’assoiront dans une salle, les fils avec leur père dans l’autre. Mon père a entendu s’est levé et a tranché en quelques mots: ” mes filles s’assoiront là, à coté de moi, avec moi.”